Exposición
Letters From Far Away
Harits Rasyid Paramasatya
18
Abril
2016
-
12
Mayo
2016
Lunes
18
Abril
2016
à
10:00
Intermondes
Après une résidence à Intermondes, l'artiste indonésien lauréat du Bandung Contemporary Art Award #4 (BaCAA) 2015 Harits Rasyid Paramasatya a présenté son exposition "Letters From Far Away" du 18 avril au 13 mai 2016.
« "Le fruit ne tombe jamais loin de son arbre" dit un poème indonésien. On peut dire que ça ne s'applique pas à ma famille ni à moi...
Depuis mon enfance, je suis un phénomène inexplicable pour ma famille : puisque pendant trois générations, celle-ci n'avait engendré que des ingénieurs ou des gestionnaires, être un artiste, c'était forcément étrange. Plusieurs fois, des membres de ma famille et de leurs amis avaient demandé à mes parents : "d'où prend-il le besoin d'être un artiste ?". Dans la culture indonésienne, il est fréquent de penser que nous héritons nos traits de personnalité directement de nos parents et de nos ancêtres.
J'ai posé plusieurs fois cette question-là à mes parents : "Un artiste est-il jamais né dans notre famille ?" Selon eux, personne dans cette famille n'avait jamais choisi cette avenue (Comme ce sont tous de grands travailleurs à l'esprit cartésien, je les trouve parfois rigides et ennuyeux...).
Avant son décès, Eyang Putri (ma grand-mère) m'avait dit que je lui faisais penser à un certain Jati. Troublée, ma famille n'avait jamais entendu de cette personne. Après la mort de ma grand-mère, Eyang Kakung (mon grand-père) nous a révélé qu'il s'agissait du petit frère de sa défunte épouse.
Jati était le seul garçon de cette famille, et ainsi, il avait droit à certains privilèges. C'est la raison pour laquelle il avait été envoyé à Jakarta afin qu'il puisse fréquenter une meilleure école. Là-bas, il avait habité avec son oncle militaire. Jati était intelligent, ses études allaient bon train ; cependant, il aimait beaucoup s'amuser, et ceci était la cause de fréquentes disputes avec son oncle.
En 1965, Jati s'était rendu à Paris pour débuter ses études collégiales. Pourtant, il n'a jamais pu les entamer, car il s'était retrouvé sans le sou : sa citoyenneté indonésienne avait été révoquée après qu'il eût été aperçu dans une manifestation communiste. Punissant par le bagne et la prison toute inclination envers le communisme, le nouveau régime indonésien avait dépêché des agents pour interroger toute la famille de Jati. Heureusement, son oncle qui était militaire avait assuré les autorités que la famille n'avait aucun penchant communiste. La famille avait par la suite coupé tous ses liens avec Jati et n'avait plus jamais mentionné son nom. Même ma mère n'avait jamais rien su de son existence.
Eyang Kakung n'avait toutefois jamais détruit les lettres écrites de la main de Jati... et il me les a montrées. Certaines de ses lettres n'avaient même pas été ouvertes... Je me suis alors demandé : pourquoi ma famille ne s'était-elle pas débarrassée de celles-ci ? Voulait-elle vraiment effacer jusqu'au moindre souvenir de Jati ? Je pense que ma famille ne voulait pas l'oublier totalement. Les lettres était adressées à Elli... ma grand-mère. C'est elle qui était restée le plus près de lui.
Après avoir lu toutes ses lettres, j'ai mieux compris ce qu'il était arrivé à Jati. Pendant ç ans, il n'avait envoyé à Elli que dix lettres en provenance de la France, la dernière datant de 1974. La raison pour laquelle il avait cessé sa correspondance épistolaire cette année-là était demeurée un mystère... jusqu'au jour où je suis arrivé à La Rochelle, la ville dans laquelle Jati vivait après avoir quitté Paris.
Jati n'a jamais été un héros ni un artiste reconnu. Ce n'est pas non plus une figure dont on se souviendra parce qu'elle aura passé à la télé ; aucun monument commémoratif n'aura été dressé en son honneur. Pourtant, le monde est rempli d'humains comme Jati, dont l'existence a été supprimée de la mémoire de leur famille et de leurs amis, car ils ont eu le malheur de naître au mauvais endroit, au mauvais moment.
Cette exposition rend hommage aux personnes comme lui. Elle se veut aussi un aide-mémoire pour moi : je ne suis pas tombé trop loin de mon arbre.
Je ne suis que le fruit d'une branche coupée. » Harits R. Paramasatya